Leblog

Quatre saisons :

l'automne


L'automne approche. Lesfeuilles mortes crissent sous les pas dans les rangées de vignes, etcette inexorable chute découvre les grappes mûres qui maintenant necraignent plus les assauts dardants d'un soleil qui s'alanguittoujours un peu plus vers la ligne d'horizon. On se prépare desvendanges à la Prévert. Inventaire.

Ce ne sont pas les trainsspéciaux qui arrivent en gare de Lézignan et qui déversaient desmyriades de familles d'Espagnols qui s'ébrouaient ensuite dans lesvignes au gré des domaines, qui annoncent les vendanges. Ce ne sontpas ces éclats de voix d'Andalousie qui chantaient entre les mursdes maisons de Montlaur le soir à l'heure du paseo. Les Espagnolssont partis. Sont restés quelques Portugais, quelques Gitans de cide là. Puis plus rien. Ils se sont volatilisés, laissant derrièreeux le souvenir des bals le soir des vendanges, quelques amourettesou quelques liaisons durables avec les gens du cru. Les Corbièressont des vins d'assemblage.Vinrent alors les Polonais qui neremplissent certes pas la gare de Lézignan, mais assurent maintenantle peu qui reste de main d’œuvre. Le Polonais est dur à la tâche,il a toujours des collègues de là bas qui sont prêts à venir ici.Le Polonais accepte sans rechigner le salaire que les Andalous tropdélicats ont laissé. On attend les Roumains, les Bulgares, ...avantles Chinois.

Non ce n'est pas des voixd'hommes qui nous annoncent le temps des vendanges. Les hommes ontdéserté la plaine viticole. C'est d'abord un nuage de fumée. Ellen'est pas blanche. Elle est noire. Habemus papam. Ce papeannoncé d'un trait fuligineux n'est pas des meilleurs augures. Etpourtant nous avons un pape, ou plutôt, un deus ex machina.Ce dieu machine va nous sauver : nous sauver des vendangeurs quine veulent plus travailler, qui sont toujours fatigués, qui onttoujours soif, des mains maladroites qui se coupent un doigt. Le dieumachine va nous sauver de ces hommes qui ne veulent plus travaillerquand il fait nuit et qu'on n'y voit goutte. Le dieu machine va noussauver des prix misérables du vin.

Alors la bête éructe,s'ébroue, tousse, tremble. Enfin, dans un vacarme de mammouth labête se lève alors qu'elle était tapie dans sa tanière deparpaings et de tôles. Ses jambes s'allongent comme un berger perdusur ses échasses dans les landes de Gascogne. Puis, le coeurs'emballe trop heureux de montrer sa force et sa puissance, et lamachine sort enfin au grand jour. Un sang lourd court dans sesartères noires. Je ne lui connais que deux robes : pétrole ouflammé. Dans la vallée deux races se partagent le territoire :bleu pétrole comme une Braud, et orange flamme pour une Pellenc. Ausommet de la bête, je distingue derrière les jeux de lumière desgyrophares un homme qui s'active à des manœuvres délicates, tel un Gelfling sur un Garthim, scarabées géants aux longues pattes dansDark Cristal.

Les machines à vendangerpeuvent inaugurer le bal des débutantes des cépages blancs. Dejour, de nuit, le ronronnement sourd des machines va maintenant nousrappeler que les vendanges ont commencé. La machine abat plus detravail qu'une vingtaine d'hommes ; elle ne se plaint pas. Pasd'équipe à houspiller, pas de repas à préparer. Et sobre avecça : une rasade de cent litres de gasoil tout au plus le soiravant de se coucher. Pas de salaire à verser.

Il est temps d'alleraiguiser les épinettes pour vendanger avec les copains et réserverquelques bouteilles. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle.




Fin de vendanges


Les vendanges s'achèventà peine à Montlaur. Le faible cliquetis des épinettes s'est tûdans les vignes, avec les éclats de voix des cueilleurs et les râlesdes porteurs. Mais c'est surtout le rugissement des machines àvendanger et des tracteurs lancés à fond de train qui nous laissentenfin en paix. Car il faut bien le dire, ce n'est pas la foule desvendangeurs ni le bruit de leurs conversations qui nous assaillent.Ne revenons pas sur ce fait (accompli?). Nous y sommes. Les vendangessont finies... comme elles avaient commençaient. Tout le monde s'enfout. C'est un non événement. Passons.


Après quelques annéesmédiocres (grêle en 2011, avec pour conséquence faible récolte en2012) et une année affreuse (2013, l'année de la pourriture, pasnoble du tout qui plus est), voici venue enfin la normalité.Normalité du calendrier (rappelons que l'année dernière nousavions un mois de retard, ceci expliquant cela). Finir les vendangesdébut octobre, nous revoilà dans les clous du climat. Et normalitéde la récolte. Certes du mildiou ici ou là (sur grappes, maissurtout sur feuilles, d'où des sarments déplumés avant l'heure),des reste parfois de l'attaque d'oïdium tardif suite aux intempériesde la fin du mois de juillet. Mais enfin ne boudons pas notre plaisirdevant une récolte abondante et de qualité (mûrissement lent etprogressif des grappes grâce à une chaleur modérée, et, souvent,des nuits fraîches). Rappelons que c'est l'écart de températurequi fait la complexité des arômes. Voilà pourquoi le Chardonnay(un peu) ou le Pinot Noir (beaucoup), manquera toujours de complexitédans nos contrées. Tout vient à point à qui sait attendre.Heureusement la nature nous rappelle à l'ordre.


Dame nature est têtue.Tout autour du Val de Dagne les foudres du climat se sont abattues.Et pas qu'au sens figuré. Les pluies ont accablé le vignoble dulimouxin. Mais finalement ce n'était rien comparé au déluges quise sont déversés sur le Gard et l'Hérault ce mois-ci. A peine seremettaient-ils d'une sécheresse sévère qui a malmené lesparcelles du narbonnais et du biterrois. La grêle a eu raison desvignes de la Malepère, du Minervois. Gaillac, l'Entre-Deux-Mer, lacôte des bourgognes (pour la troisième année) ont eux aussi étéravagés. Avec bien sûr le lot estival quotidien de mildiou lié àces épisodes pluvio-orageux. Dure incertitude du temps qu'il fait.Mais c'est le sel du travail du paysan qui fait avec.


Dame nature est têtue.Le paysan (vigneron) ne l'est-il pas plus encore ? Contre lagrêle, on peut lancer quelques bombinettes aux ïodures d'argent :efficace... pour faire tomber la grêle chez les voisins. On peuts'assurer... ou pas... et demander réparation au Ministère del'Agriculture qui est toujours à l'écoute de son public, qui saitse montrer pressant. On peut essayer les filets anti-grêle (tendusdepuis des années pour le raisin de table à Moissac). Sauf quel'INAO (institut national des appellations d'origine, rebaptiséFrance Agrimer) y trouve à redire. On aimerait qu'il soit plusprompt à contrôler les règles des AOP et à réfléchir sur lerapport entre terroir et irrigation... Contre la pluie je m'étonneque personne n'ait songé à planter des vignes sous serre. Au pointoù on en est, cela semblerait la suite logique. Les vignerons duMinervois et des Corbières luttent bien contre les soleil enirriguant les terres. Contre les inondations ont creuse des barrages,des canaux de délestage, j'en passe. Pas un mot surl'artificialisation des terres. Les vignerons n'y sont pour rien. Parcontre je ne suis pas sûr que les labours obstinés soient une bonneparade contre les caprices du temps. De là à laisser l'herbepousser et à planter des haies...


Heureusement lesvendanges sont finies. Si les degrés sont faibles, le vigneronpourra enrichir le moût de raisin, même en AOP (sage décisionpréfectorale télé-guidée par la profession), et si la récoltevenait à manquer, il pourra acheter du raisin (avec autorisation,soyons honnêtes)... comme d'habitude. France éternelle, toujours duchérira la nature, pour le peu qu'elle te donne et pour tout ce quetu lui prends.

Quatre saisons :

L'hiver


De retour de la foire bioMarjolaine au bois de Vincennes, le silence se fait. Au milieu d'unmillier d'exposants et d'une trentaine de collègues, le retour aubercail n'est pas désagréable. Il reste encore des amateurs deCorbières. Cela fait toujours plaisir. L'hiver s'approche à petitspas. Il va falloir se méfier. L'ordinaire du froid qui mord. Lemonologue bruyant du vent dans la plaine qui ne trouve aucun arbrepour dialoguer, pas un fossé pour faire l'école buissonnière àEole triomphant. Tout n'est qu'ennui dans cet océan monotone demonoculture vigneronne que le vent martyrise.

Novembre, le petitCarignan de la pinède (au lieu dit-dit « la CouzineilleOuest », aux premiers hectomètres de route sur la traverseMontlaur-Pradelles) a perdu ses feuilles en sorte qu'on voit ses brasdécharnés formés par les sarments qui se dressent en épis. Annéeaprès année, à force de scier et de scier des souches, et desbras, je me servirai peut-être moins de la scie que des ciseaux detaille. J'en avais plein les bras justement de lutter contre la forcedu vent qui couche les souches dans sont lit, le soleil qui lesattire vers lui tout au sud, de la pente qui les fait verser versl'aval, et de l'esprit noueux de cette liane qui s'enroule engobelets géants qui chérissent la courbe et qui toujours veuts'éloigner de la ligne. C'est ainsi depuis trois ans, depuis quej'ai tiré cette vigne de Corbières de sa sauvage anarchie sous lessourires goguenards de ceux qui n'en ont pas voulu.

J'aime cette sculpturepatiente, ce dressage minutieux. Je répétais cette forme d'art àPhilippe Aïni qui ne me démentit pas. Peut-être qu'après avoirsculpté ses bois de Thaïlande il interrogera du ciseau à bois cesaugustes cèpes qui nous regardent comme de vieux sages, silencieuxtémoins d'un passé n'en finit pas d'agoniser. Monde contemporain sisûr de lui qu'il place les vieux à l'hospice comme on met lesvieilles souches à l'encan. Tout n'est qu'ordre, vide et médiocrité. Quelques centaines d'années d'histoire, de sueur, de labeur et deslambeaux de paysage brûlent ainsi par petits tas dans des étenduessteppiques que la broussaille grignote.

Personne ne voulait decette parcelle arrosée de l'or du couchant, adossée à une pinèdehabitée de tumulus caillouteux et de terrasses alanguies plantéesd'oliviers. Personne pour marcher d'un bon pas par le ruisseau, plierle cou pour passer sous les ponts et, au niveau de l'ancien lavoir,grimper par la pinède, entendre craquer les aiguilles de pin sous lepied, avant de passer du clair obscur du sous bois à la lumièreblanche de la vigne. Personne pour replacer ça et là les pierresd'une muraille modeste qui délimite un ancien chemin creux oùdésormais l'aubépine et l'amandier ont dressé la table avec forcecynorodons et pommiers sauvages.

Quand les mains et lesbras rythment le lent de tango de la taille, deux pas en avant pourtailler le sarment et un pas en arrière pour le tirer des brasvrillés de ses congénères et le déposer derrière soi, l'espritvagabonde.. Mais qui se soucie aujourd'hui du Carignan ? C'estnotre arbre à palabres sacrifié sur l'autel exotique deschardonnays et des cabernets, des grandes parcelles mécanisées.L'esprit du progrès fait des ravages, s'ébaudit de trucs et demachins. On se gargarise d'acronymes creux : la tmp (ou taillemécanique de précision) fait des adeptes dans la plaine. Paysans,vous êtes désormais des techniciens viticoles. Jetez les ciseaux detaille, les mains et le cerveau qui les gouvernent. Achetez uneprétailleuse. Dans le droit fil de Claude Levi-Strauss (« Lapensée sauvage »), je préfère l'amateur (celui qui aime) auprofessionnel, le bricoleur à l'ingénieur. Alors je cultive monpetit jardin du Carignan de la pinède, sur cet air de tango, deuxpas en avant, un pas en arrière.



Quatre saisons :

printemps


LaFrance est le berceau de l'idée de terroir. Elle devient peut-êtreson tombeau. Au début étaient les appellations d'origine contrôlées(seulement 1985 en Corbières), aujourd'hui rebaptisées AOP(appellation d'origine protégée). Tout le monde a le mot terroir àla bouche, jusqu'aux américains de la Napa Vallée, aux vinsd'Afrique du Sud. Le terroir c'est la réunion d'un environnement,sorte de genius loqui pétri de pédologie et de climatologie,et du travail de l'homme. French paradox : repris partoutdans le monde, le terroir est ici régulièrement enterré. On aimepiétiner les idoles. L'intangible comme la terre, le climat et lematériel végétal se met à vaciller sous les coups de boutoirdémiurgique de la pensée positive.

Enpremier lieu, la terre, celle que nous foulons tous les jours, ausens proche, et aussi au sens figuré. Depuis cinquante ans, onabreuve le creuset du sol d'engrais chimiques, des sels d'azote, dephosphore et de potasse, à tel point que cette triade NPK est entrain de détruire les sols. Leur destruction, c'est le dieu Atlasmué en Sisyphe. Les rendements baissent inexorablement, la terres'en va, transportée ailleurs par le vent, la pluie, ou brûlée parle soleil. Le vigneron reste droit dans ses bottes, c'est le paysagequi disparaît. Effet d'optique.

Ensuitevient le climat. Son réchauffement n'est pas un vain mot. Ici commeailleurs, il fait de plus en plus chaud, de plus en plus sec. Depuisplusieurs années, les nappes phréatiques baissent. Qu'à cela netienne : il suffit d'arroser ; quand il y en a plus il y ena encore. Bel oxymore. Tel Jésus, le canal du Bas Rhône multiplieles mètres cubes. Les plus grands domaines tirent des kilomètres degoutte-à-goutte. Pourquoi se priver de cette manne européenne et dela prodigalité du projet Aqua Domitia du Conseil Régional LanguedocRoussillon ? Même les vignes en AOC Corbières y ont droit.Maintenant on arrose gratis. Avec Charles Cros qui n'aimait rienmoins que de boire de l'eau, les hydropathes se font du souci. Cedoit être l'effet millésime. Les promesses de rendement ont fini denoyer les dernières réticences. La vigne est un grand malade ducoeur que l'on espère sauver par des pontages coronariens audacieux.Parfois, la technologie est un poison comme le mieux est l'ennemi dubien. La Mer d'Aral était aussi alimentée par l'Amou Daria et leSyr Daria. Couple stérile, solitude dans les champs de coton... Neparlons même pas des vignes australiennes. Parabole biblique.Poussière, tout redeviendra poussière.

Ilfallait un couronnement à ce chef d’œuvre. Le végétal, dernierrempart de la citadelle des terroirs, cède du terrain, par petitesbrèches. Après la crise de phylloxéra, on a commencé à grefferles cépages sur des plants américains. Première pierre dans lejardin de la typicité variétale. On a planté profondément le clouen choisissant des porte-greffes à croissance rapide se contentantdes horizons de surface (l'universel SO4). Puis on a généralisé leclonage des plantations au détriment des sélections dites massales(repérage des individus remarquables dans une vigne dont on choisitde replanter les bois), deuxième coup de pouce. Ceci a eu deuxconséquences : appauvrissement et standardisation du matérielvégétal. L'achèvement des travaux vint de l'appellation elle-même.Où on découvre que les gardiens du temps sont des apprentissorciers. Les cépages améliorateurs (Syrah en premier lieu) ont misles autres au ban de la société viticole : Carignan, Cinsault,Terret, Piquepoul noir, etc. Dans le combat des anciens et desmodernes, les premiers ont perdu la bataille. Continuons de filer lamétaphore biblique : les premiers seront les derniers.

Enattendant, célébrons ce terroir magique que la nature nous a donnéet que l'homme a su magnifier. Beau discours, belle communication.C'est autrement simple... et compliqué. Laissons parler la vigne, onentendra le terroir. Santé !




Quatre saisons :

l'été


La chaleur a mis du tempsà s'installer. Après des semaines d’atermoiement, elle est là,sourde, intense. Elle vrille dans sa fournaise les lignes de vertdans les aplats de gris et d'ocre des terres comme les mirages enplein désert. La rectitude du jardin à la française des vignesfondue dans le creuset de la courbe du jardin anglais de la nature.Le blanc des argiles labourées est porté à l'incandescence,jusqu'à l'aveuglement. Les champs de blé et d'orge, craquent commedes monceaux de criquets desséchés. Une odeur de miel et depoussière monte des chaumes brûlés par le soleil. Hommes ettracteurs se sont retirés du paysage, capitulant devant la braise.Quelques silhouettes s'agitent encore. Touristes accablés de lumièreà la recherche de l'ombre et d'un point d'eau. Cyclistes attardésinondés de sueur aux visages défaits par la chaleur du feu.Joggeurs présomptueux collés au bitume sur la route luisante. DonQuichotte dérisoires face aux moulins du Cers.

Le regard se porte versl'Est, tentant une enfilade dans les gorges du Gongoust. Mais l'étaudes calcaires éocènes est trop étroit (Gongoust, Congost :cum angustia, avec étroitesseen latin). L'horizon est fixé par le premier verroudes Ilhes, qui par métonymie s'appelle maintenant volontiers laplage. Une plage sans eau. Le ruisseau des Mattes n'est qu'un filetde bave verdâtre, un pointillé de mousses en écharpe sur degrosses pierres bossues. Le ruisseau, maigre, est devenusquelettique.

L'eau est rare. En été,elle vient à manquer. C'est un bien précieux. Sous les cieuxméditerranéens, l'homme n'est pas la mesure de toute chose. C'estl'eau. Les quelques villages du Val, les fermes isolées se sontinstallées là où l'eau sourdait de la roche. Montlaur est unparadoxe. Sise sur un marécage, comme les prêles chaussant lespieds de vigne dans la plaine en attestent, l'eau est partout. Hélasle bassin versant lui est défavorable. De plus la nappe est polluéepar le réseau d'égouts vétuste et par les rejets d'effluentsviticoles. Même si on les appelle aujourd'hui produitsphytopharmaceutiques par euphémisme, ils sont toujours plustoxiques, et durables. D'abord issus de la famille historique desorganochlorés (produits pendant la première guerre mondiale etrecyclés dans l'agriculture), les fabricants se sont tournés versdes pseudo hormones, dont les néonicotinoïdes sont les derniersavatars. Les abeilles apprécieront. Les écrevisses se cachaientsous les pierres du ruisseau. Maintenant l'eau souillée se terresous les cailloux. L'homme va apprendre la soif.

Restent les sources. Lasource de Saint Jean qui par un long aqueduc franchit le col du mêmenom pour dévaler sur le domaine de Roquenégade. La source quialimente les Ilhes. La source qui donna vie au domaine de laFraissinède. Cette eau sauvage sort d'un bosquet de lauriers dans leflanc Nord-Est de la colline de l'Homme. C'est magique de se trouverau pied de ce gros rocher humide dans la fraîcheur de l'eau. Adosséaux chênes verts, on regarde la Fraissinède en contre-bas, tapiedans les platanes centenaires. La nature est belle, paisible. Manondes sources vit dans les Corbières ! L'eau est pure,cristalline, délicate clepsydre.

Rapport d'analyse de lasource : traces d'atrazine. « Herbicide d'originesuisse (Syngenta Agro SAS), famille des triazines (chlorotriazines).Il est absorbé par les racines, en partie par les feuilles (aucontraire de la simazine, uniquement par les racines). Remarquableefficacité à l'égard des graminées adventices et nombreusesherbes dicotylédones. Durée d'action de 2 à 6 mois et plus... »(Index phytosanitaire Acta 2002, page 357)

Pourtant,que la montagne est belle, comment peut-on s'imaginer...



Le(vin) bio n'existe pas



Cettecontribution un rien polémique est la première salve d'un texte quise poursuivra lors de l'édition prochaine de journal du Val deDagne. Certains vont penser que j'ai abusé de la bouteille. Unproducteur de vin bio qui nous dit que tout ça n'existe pas. Lapreuve par l'exemple.

Etd'ailleurs à en croire certains, cela n'a jamais existé. Je repenseaux trésors sophistiques déployés par les chantres de l'économieagrochimique. Si on ne dépasse pas le panneau Montlaur, on peutraisonnablement imaginer que le bio n'existe pas. Quand le Sivoss'est mis en tête (quelle idée) de faire un repas bio par mois àla cantine scolaire intercommunale, que n'a-t-on pas entendu :le bio c'est pas rigolo (beaucoup moins que la bonne habitude de lamal bouffe comme dirait José Bové) ; le bio c'est cher (mêmequand le repas bio est à prix constant, cherchez l'erreur) ; lebio c'est du copinage (hommage à Valentine de Chabaneix et à LucPasquiet). Cerise sur la gâteau aux OGM : le bio c'estsuspect. C'est vrai. D'où ça vient ? Qui nous prouve que c'estbio ? Rien bien sûr, à part les contrôles des organismescertificateurs et le cahier des charges. Quand le ver de la suspiciongénéralisée est dans le fruit du contrat, tout est dans tout, rienn'est dans rien. On est foutu (on relira dans cette veineconspirationniste le blog de Betanne et Desseauve : « levin bio de la rédemption à l'imposture » du 21 janvier 2013).

Siles acteurs de la filière conventionnelle sont vendus au grandcapital et aux magouilleurs de tous poils avec ses précieuxcorollaires, vaches folles qui mangeaient de la viande, carcasses deporcs infestés par la peste porcine, grippe du poulet, troupeauxd'ovins décimés par la maladie de la langue bleue et maintenant parle virus de schmallenberg, saumons élevés à la farine de poissonabyssaux, lasagnes de cheval (nous qui pensions que Castelnaudaryétait la capitale du cassoulet), pourquoi les producteursseraient-ils plus vertueux ? Diable la démonstration est faite.Pas tout à fait. Les producteurs bio ne sont pas des saints protégéspar une auréole (fût-elle biologique !). Ils sont le plus souventdes anciens agriculteurs conventionnels qui ont bien réfléchi àtoute cette histoire et qui en ont tiré les conséquences.

L'agriculturebiologique serait enfin polluée non seulement par l'esprit, maistout simplement, de facto, par l'environnement. D'ailleurs lesvignerons bio (pour ne parler que d'eux) polluent. Le cuivre voilàl'ennemi. C'est sûr qu'on emploie du cuivre (notamment de labouillie bordelaise). Petit problème mathématique de niveauprimaire : 1 kg de bouillie bordelaise contient 200 grammes decuivre. Un viticulteur conventionnel finit ses traitements en 2passages de bouillie bordelaise à pleine dose (soit 2,8 kg de cuivrepur par an et par hectare) ; j'ai passé 2,5 kg de cuivre purpar hectare et par an (peu ou prou comme d'habitude). Question :qui pollue le plus ? Vous pouvez ramasser les copies. Un jour uncollègue m'a asséné goguenard : « Tu n'es pas bio...parce que moi je te pollue. » Pour ces septiques nihilistes, jene saurais leur conseiller le documentaire « Nos enfants nousaccuseront» (Jean Paul Jaud) où on peut rajouter dans cet amasd'absurdisme les cancers professionnels (première cause de mortalitédes viticulteurs et la filière viticole première consommatrice depesticides au monde), les perturbateurs endocriniens desnéonicotinoïdes (malformations sexuelles sur trois générations),précurseurs d'Alzheimer des pesticides, bombe à retardement descocktails de molécules...

D'ailleurslors de la fête du vin à Montlaur le 15 août, il n'y avaitpersonne pour le débat sur la conversion du vignoble àl'agriculture biologique. A part Christian Baillat moi-même, et deuxauditeurs. Puisque je vous dis que le vin bio n'existe pas.



etpourtant on peut même le boire !



Nousvoici arrivés (déjà ?) à la fin de notre petit périple dont lapremière étape, rappelons-le, était consacrée aux multiplesraisons (et déraisons) qui courent sur le poil lustré des vertus duvin bio (le titre en était non sans ironie : le vin bion'existe pas). Tel des pénitents sur le chemin de Saint Jacques,nous sentons pointer le Saint Graal, au loin Compostelle se dessine àmesure que notre soif grandit.

Levin bio n'a peut-être pas besoin de défenseurs. Soyonsvoltairiens ; occupez-vous de mes amis, mes ennemis je m'encharge. Malgré les dénégations, les quolibets, les moqueries, lesrires sous cape, les défiances, et les attrapes couillons, le vinbio existe. Il ne le doit qu'à lui-même. On ne peut pas dire eneffet que les politiques agricoles se soient systématiquementpenchées sur son berceau. En France le bébé se présenta par lesiège. Les milliards d'euros de la politique agricole commune n'ontguère complémenté son biberon. Le mouvement est parti de rien, etde loin. Autant dire à cette aune que la France n'est pas vraimentun parangon de l'agriculture biologique. L'Espagne nous narguedevant, tant notre performance en la matière est grande. Ne parlonspas bien sûr des pays du nord. Ou plutôt si, faisons-nous un peu demal : Autriche, Suisse, 25 et 22 % d'agriculture bio. Petitrappel à l'usage des faibles et des malentendants : France 4 %.Fermez le ban. Ils ne sont pas plus malins ni plus intelligents quenous. Ils sont simplement plus responsables et ont décidé, engrandes personnes, d'arrêter de s'empoisonner à petit feu, pourensuite traduire ces valeurs de bien être et de santé publique dansl'ensemble de la société. Pour les non convaincus des conséquences,lourdes, sur la santé publique, je recommande le visionnage dureportage que diffusa France 2 (un obscur organisme de propagandepublique) : « La mort est dans le pré. » En dehorsde la portée émotionnelle de l'affaire (ce n'est jamais de gaitéde coeur qu'on découvre qu'on se fait empoisonner pour la bonnecause du productivisme agricole), il a le mérite de pointer du doigtles enjeux de société : qui va payer. Pas la MSA -mutualitésociale agricole) dont la barque est déjà bien chargée avec lerégime de retraite des agriculteurs. Et bien c'est nous... Je senscomme un fumet de scandale façon amiante. A suivre.

Parfois,la ligne de vie frétille, excitée par quelques soubressauts. Lepoisson bouge encore. L'instinct de survie ? La dernièreenquête de « Que choisir ? » sur les résidus depesticides dans le vin est un bon exemple de notre schizophrénieinstitutionnelle. Rappel : le magazine démontre que les vinsnon bios contiennent systématiquement des traces de produits detraitement. Rien que de très normal. On en mange (fruits etlégumes), on en boit (eau). Sauf que la nature vinicole est bienfaite : le vin est le seul aliment dérogatoire à la loid'information sur les ingrédients. Et comme de juste, la professionn'a pas jugé bon d'établir des seuils en la matière ni prévu dediscuter d'un tel projet. J'ai reçu un courriel de mon laboratoireoenologique pour me rassurer sur cette question : RAS. Sauf quenous sommes les plus gros poissons au bout de la ligne et que nousaccumulons les polluants. Et s'il n'y a rien à voir, pourquoienvoyer un courriel à tous ses clients ?

Cetété le journal « Le Monde » fit une série d'articlessur les dix meilleurs vins de France (soyons modestes, du monde!),liste établie par le critique gastronomique Curnonsky avant guerre.On y trouve en autre « La coulée de Serrant », perle desvins de Loire à base de chenin (Savennières). De l'or en barre. Del'or vert : le domaine est en bio depuis une vingtaine d'annéeset il n'a pas dégringolé dans la hiérarchie. Dans la mêmecatégorie, j'aurais rajouté les vins de Richard Leroy, à quelquesencâblures (Anjou). Quelques dizaines d'années de bio ? Dejeunes pourceaux impuberts. Au salon Marjolaine (grand-mèrebiologique qui fêtait ses 38 ans) se trouvaient mes collèguesbordelais (Graves) du « Château de Chante l'Oiseau » :en agriculture biologique depuis 1964. Carrément la préhistoire. Enface de moi, le domaine champenois de Beaufort (Ambonnay), en biodepuis 1971. Des masochistes ! Un petit champagne vendu dans undes meilleurs restaurants du monde (le Noma à Copenhague)... qui nesert que des vins bios.

Cavaut peut-être le coup d'y goûter. Santé !



Depuis le Picou


Cematin la neige a blanchi

lePicou d'un châle alangui

lesoleil de l'hiver fait grand cas

descristaux de gel et des micas


l'airest si bleu qu'il suffoque

d'unepureté d'essence azurée

bleuroi je crois c'est mieux que

cebleu France des nostalgiques fardés


unciel bleu de pur chagrin

quibrille dans l'écrin du matin

ondirait de grands yeux immenses

commelavés par les larmes d'une transe


leregard porte sur les breloques

desPyrénées drapées au loin

tellesd'immobiles moulins

cen'est pas le vent qui manque


ilest toujours là à broyer les nuages

àtorturer les peupliers et les saules

àpulvériser les chemins de Gaule

etd'Espagne ardent et plein de rage


immobilesmoulins cherchant le vent

commeune vie brisée quêtant un destin

immobilesmoulins habillés de loques

sansvie comme un estomac qui a faim


lepaysage est un beau Caravage

l'horizonremplit le sauvage

deschamps et chante la peine

commePaco Ibañez Jaén Jaén


jevois la plaine des augustes oliviers

sichargés qu'ils pourraient en crever

lespieds étranglés par des boas noirs

detuyaux exsangues assoiffés de désespoir


pourla récolte des bras s'épanchent

l'hydrauliqueleur porte l'accolade

secoueleur plumier de branches

d'unbaiser brutal mortelle estocade


toujoursplus voilà la chanson

quise fredonne qu'on fait reluire

allezallez allez il faut produire

claironnentles libéraux parangons


Rolands'époumone derrière Roncevaux

lesouffle est court rompus les chevaux

laguerre n'est pas économe des chevaliers

danscette course d'aujourd'hui folle à lier


les olifants se sont tus dans les canyons

mêmele vent n'ose défier les Hermione

échouéesici et là dans les ports endormis

letravail a repris le goût amer de l'oubli


lesPicos semblent bien loin d'Europa

l'Ebroest au pain sec de l'eau même pas

Barcelonese pavane en catalan Popeye

quiboit souvent à la source de Marseille


lesfraises de sang sorties du seau

lescourgettes de sueur au cordeau

lestomates empilées sur les cageots

descatafalques plastiques d'El Ejido


sucentla dernière goutte de larme

desroumaines lasses et sans charme

accroupiesdans les rangs des serres

ellesn'auront que la fatigue en dessert


enplat de résistance tous les jours

cetteroutine laide de la cueillette

dumatin tôt aux doigts gourds

jusqu'ausoir tard le dos en miettes


journéede repos à panser ses plaies

regarderun peu voir si le soleil est levé

espérantne pas cuire et qu'il soit voilé

unejournée vide avec un goût de craie


pausecafé au Ricoré sans sucre

lesfemmes rêvent d'un nuage de lait

quiadoucirait ce médiocre brouet

elles touillent un silence de sépulcre


lestunnels irradient de lumière bleue

lepaysage de poussière de limaille

miragedes jardins où on braille

ensilence dans des agoras de pneus


lesoleil grille les bâches lacérées

lespatrons impassibles rabâchent

lescadences à tenir aux saisonniers

quitisonnent ces édens qui fâchent


dansce jardin pas d'Adam Eve

n'aplus les dents pour croquer

lapomme si loin est la grève

qu'untrognon ferait suffoquer


on nesait plus si le plastique

secultive ainsi que les moustiques

avecun peu de cette terre souillée

dansde l'eau pour se débarbouiller


larage et le désespoir se font écho

surles murs glabres pousse le lierre

lesgreens ont jauni fini l'eldorado

lesidentiques briques rougissent de misère

desaéroports sortirent de terre

déliriumtremens des maires

lesavions dans le ciel tracent

dernièrevictoire de Samothrace


desmyriades de signaux de détresse

pourdes passager perdus sans stress

iln'y a plus d'étoiles sur ces pistes

queseul le genet dispute aux cistes


lesneiges éternelles sont en crise

jusqu'àCéret on compte les cerises

tandisqu'à Villefranche de Conflent

naïvetédes enfants par trop confiants


on a pensé que sur les arbres

secueillaient les pêches mûres

lescanons arrosent et sulfurent

leconsommateur reste de marbre


dutorrent on siphonne le flot

lessaumons auront bien assez

devagues et de biefs à surfer

qu''ilsgobent les mouches Rago


laneige cultivée prend le goût fade

desersatz de jambon en chiffonnade

rodomontadesde montagne carte postale

naturemorte idyllique de pierre tombale


surles versants français de l'ubac

onpourrait entendre autour des lacs

lesourd cliquetis métronomique

desremonte-pentes vaine mécanique


Sisyphemoral en berne sans envie

filecomme le sable entre les doigts

l'hiverloin de la retraite a fait le choix

desvacanciers oisifs à la vie sans vie


mécaniquecéleste à si méprendre

elleest à cette époque perpétuelle

monterdescendre monter descendre

seulela nuit refroidit ces sentinelles


maintenantle cirque a fermé les bans

rangéle chapiteau et sa ménagerie

lapiste est orpheline de clown blanc

etdes ses animaux sans sauvagerie


l'ourseprisonnière de la chaîne

desPyrénées jure en slovène

ellepense à ses copains partis

fauteaux bergers faute aux fusils


iln'y a pas plus d'ours en Aspe

quede neige dans les Aspres

pasplus de femelle en cavale

quede Cannelle hexagonale

on envient à accuser les vautours

deplaner il paraît qu'on en a vus

quitournaient et tournaient autour

desânes et des chevaux fourbus


lamontagne que l'on aménage

salitl'ancien relief de son jeune âge

commel'adolescent tout puissant

quitoise le vieux sage insignifiant


etquand la saison est finie

quandchange de robe l'hermine

à laplace des forêts et des prairies

jaunissenttous ces champs de mine


curieuxdécor que cette salle

sanspublic ces acteurs sans texte

lamontagne ne serait qu'un prétexte

lesisards des figurants sur les dalles


ivresde liberté sauvages farfadets

quidansent au refuge des Sarradets

lesyeux fous de pentes et de névés

lescornes dressées en antenne de tv


iln'y a plus que quelques havres

où la majesté est un cirque insoumis

on ytrouve le spectacle du théâtre

enson entier comme à Gavarnie


cettefrontière m'a toujours étonné

commentpasser des flancs ombrés

ducôté Nord aux eaux languides

à latranchante lumière des atrides


làles fantômes scrutent la Mancha

jadedes lacs d'Ainsa Tozal de Guara

iciles foules abruptes des noires forêts

valléessilencieuses endeuillées de glaciers


il ena fallu du courage

etaussi beaucoup de rage

pourque les réfugiés s'engagent

dansces montagnes pour la cage


d'uneFrance rabougrie en idées

républiqueterrassée par des affidés

de laguerre à reculons des années sombres

lesmiliciens lâchant la proie pour l'ombre


quelleindignité d'inviter à la plage

deBanyuls Barcarès ou Port Bou

desfamilles de pauvres gens à bout

descombattants sans arme ni bagage


desfemmes sans amants

despaysans sans arpents

républicainssans camarade

poètesmuets sans tirade

maintenantl'Espagne se tire

dubruissement du monde

et deses puissants satyres

indifférentle paysan émonde


lescoques d'amandes au pied

de lafalaise où le verger

desverts amandiers descend

surla terre rouge sang


onpourrait croire qu'il y a le feu

queles âmes ont quitté le Fire

c'estmal connaître le vertical lieu

lalangue n'a pourtant pas empiré


Jiglosoù les croix sous les Mallos

maraboutaientles bouts de ficelle

lorsd'ascensions directes et belles

auxaccents de liberté sans pathos


lesmontagnes sont là pour être grimpées

disentles vieux sages dans les vallées

commela statue doit être déboulonnée

Camusécrit simplement l'homme révolté


certainss'échappent par le haut

jevois que les golfs font potagers

jevois qu'on troque du pain frais

contrequelques cours de flamenco


surla plaza de Madrid les indignados

entreinconnus s'échangent des abrazos

lesdiscussions animées en guise de paie

sontle vif argent d'un combat sans monnaie


l'hommeest un animal social

quandil n'y a plus rien à l'étal

ilredécouvre enfin la gratuité

et infine sa part perdue d'humanité


il nesert à rien de toujours ravaler

lesvieilles façades des monuments

ondevrait juste s'accorder à les saper

quandon pense qu'ils ont fait leur temps


jen'entends pas de ce côté là

tousces ibériques brouhahas

lessommets serait-ils trop hauts

nesommes-nous pas encore chauds


lescollines se sont déplumées

plusâme qui vive à Mouthoumet

lesutopies ont un goût de calumet

autourde Bugarach à force de fumer


sousle Tauch la cave de Tuchan

révèlesous le brillant son clinquant

l'investissementcomme un buvard

afait une tâche au château d'Aguilar

surl'immense plateau de Lacamp

lesvaches ont presque foutu le camp

ellesfont le bonheur de la cantine

etcelui de leur bergère Valentine


cen'est pas ces aigres sonnailles

qui sonneront pourtant lesépousailles

entre la campagne vide etl'étique travail

les friches viticolesservent d'épouvantail


on aimerait qu'il y aitsur le Picou

pour manger la forêt plusde bêtes

le bruit de cesruminations seraient une fête

un éternel chewing-gumdélicieusement mou


jesuis sûrement nostalgique

de cesfiers bergers stoïques

deschevaux de trait héroïques

que n'ai-je pas vécu ces temps épiques


je meprends à rêver je suis engourdi

depuisce matin à regarder étourdi

versles hautes Corbières brumeuses

quandle soleil rend la terre fumeuse


l'argilequi dégèle le diamant

descristaux coule comme or en fusion

c'estsimplement l'heure de rentrer à la maison

avantque le sol ramolli ne devienne trop collant


jejouissais de la hauteur de vue

tout cela j'embrassais sans biais

surtoutque je ne glisse dans ce bourbier

ensorte que ces pensées se muent en bévues


on seprend vite pour le souverain

quipeut presque tout parce qu'il est

maisce roitelet n'est pas plus d'airain

qu'unepauvre petite tête ignorant ses pieds


sentirbouger regarder vivre

respirercette nature qui rend ivre

jem'en sers une rasade comme d'un livre

à monchevet je lis chaque jour un chapitre


il yceux qui vénèrent le livre

il yceux encore qui ne lisent jamais

ilssont aveugles tous deux se délivrent

d'ignorertoujours la nature que j'aimais


jeregarde le ciel bleu sage

aucontraire du voyage des nuages

làune seule larme chaude me vient

àcause du froid à cause de tout à cause de rien



Fête del'adéar : le bonheur est sur parking



Ily a comme cela des jours où la vie est belle, on se régale dechoses simples, on est heureux de se retrouver entre amis,connaissances, sympathisants de la cause de l'agriculture biologique(pour éviter les reprises, disons une fois pour toute que tout étaitbiologique dans cette affaire). Cette secte obscure ne fait pas degrandes réunions : les troupes ne sont pas pléthoriques. Elless'échangent des messages codés à base de sourire, de bonne humeur,de repas partagés avec force breuvages. Elles sont obstinées. Lesbonnes volontés compensent le nombre. Ainsi va la fête de l'adéar(pour mémoire : association pour le développement de l'emploiagricole et rural de l'Aude) à Montlaur qui fêtait ses quinze ans.Des têtes connues (la bande croisée cet hiver lors des travaux surla dynamique des terres en friche, la confédération paysanne -laconf' dans le texte), des moins connus, des habitués, des inconnus.La boucle semble se boucler parfois en cercle vertueux. C'est rare.Ne boudons pas notre plaisir. Dans les journaux on parle de locavore,de circuits courts, de respect de l'environnement, de transitionénergétique, d'agriculture biologique. Le 24 juillet à Montlaur ona appelé ça la fête de l'adéar.

Quelquesingrédients pour une recette réussie : des bras partageurspour monter le chapiteau pour les concerts (Daniel Lépine quidébarque dans mon jardin et nous voilà avec mon ami Denis deBruxelles à apprendre les rudiments de la tente de cirque), tenir labuvette (vins, bière artisanale, jus de fruit), pour cuisiner lesrepas, décorer la salle du foyer, organiser cette ruche d'abeillesjoyeuses, bruyantes et indisciplinées, des visiteurs curieux,engagés, connaisseurs, des producteurs de fromage, de vins, defruits, de légumes, de miel, les rescapés du marché spontané dela place de la mairie de Montlaur du mardi-vendredi, et quelquesautres, les torchons avec les serviettes (Valérie), les vêtementssans l'étiquette, les cuirs sans le chrome, les vins sanspesticides. Les centrales d'achat et les hypermarchés semblent loinet dérisoires.

Lesoleil nous bombardait de rayons heureusement de plus en plusobliques. Les regards étaient francs, les bouches rieuses. Un accordde guitare ici, le choeur des filles de La Mal Coiffée dans lapoussière. Les dents mastiquent du pain de Boris à bouchéesgourmandes. Du chapiteau montait des odeurs de grillades d'agneau, delard, des échos de chanson du monde (Kijoté, l'invité de trop-c'est le nom de l'autre groupe !), des rasades de fanfare (lesartpalhous, la fanfare du Minervois), une pincée de groove (Roger).Quand le dernier client a quitté mon stand, le soleil se couchait etles repas étaient épuisés depuis longtemps. Tant pis, tant mieux :plus de monde que prévu. L'utopie est torturée. Entrée gratuite etpayante ! A votre bon coeur. L'économie paysanne etl'agriculture victimes de leur succès. Une hallucination peut-être.Non pas : simplement la fête de l'adéar, un jour de juillet.Et si la vie c'était ça. Pour les sceptiques on a des preuves :la vidéo de Georges Combes (sur son blog l'écho des mattes). Lebonheur est sur le parking.



Quatre saisons :

printemps


LaFrance est le berceau de l'idée de terroir. Elle devient peut-êtreson tombeau. Au début étaient les appellations d'origine contrôlées(seulement 1985 en Corbières), aujourd'hui rebaptisées AOP(appellation d'origine protégée). Tout le monde a le mot terroir àla bouche, jusqu'aux américains de la Napa Vallée, aux vinsd'Afrique du Sud. Le terroir c'est la réunion d'un environnement,sorte de genius loqui pétri de pédologie et de climatologie,et du travail de l'homme. French paradox : repris partoutdans le monde, le terroir est ici régulièrement enterré. On aimepiétiner les idoles. L'intangible comme la terre, le climat et lematériel végétal se met à vaciller sous les coups de boutoirdémiurgique de la pensée positive.

Enpremier lieu, la terre, celle que nous foulons tous les jours, ausens proche, et aussi au sens figuré. Depuis cinquante ans, onabreuve le creuset du sol d'engrais chimiques, des sels d'azote, dephosphore et de potasse, à tel point que cette triade NPK est entrain de détruire les sols. Leur destruction, c'est le dieu Atlasmué en Sisyphe. Les rendements baissent inexorablement, la terres'en va, transportée ailleurs par le vent, la pluie, ou brûlée parle soleil. Le vigneron reste droit dans ses bottes, c'est le paysagequi disparaît. Effet d'optique.

Ensuitevient le climat. Son réchauffement n'est pas un vain mot. Ici commeailleurs, il fait de plus en plus chaud, de plus en plus sec. Depuisplusieurs années, les nappes phréatiques baissent. Qu'à cela netienne : il suffit d'arroser ; quand il y en a plus il y ena encore. Bel oxymore. Tel Jésus, le canal du Bas Rhône multiplieles mètres cubes. Les plus grands domaines tirent des kilomètres degoutte-à-goutte. Pourquoi se priver de cette manne européenne et dela prodigalité du projet Aqua Domitia du Conseil Régional LanguedocRoussillon ? Même les vignes en AOC Corbières y ont droit.Maintenant on arrose gratis. Avec Charles Cros qui n'aimait rienmoins que de boire de l'eau, les hydropathes se font du souci. Cedoit être l'effet millésime. Les promesses de rendement ont fini denoyer les dernières réticences. La vigne est un grand malade ducoeur que l'on espère sauver par des pontages coronariens audacieux.Parfois, la technologie est un poison comme le mieux est l'ennemi dubien. La Mer d'Aral était aussi alimentée par l'Amou Daria et leSyr Daria. Couple stérile, solitude dans les champs de coton... Neparlons même pas des vignes australiennes. Parabole biblique.Poussière, tout redeviendra poussière.

Ilfallait un couronnement à ce chef d’œuvre. Le végétal, dernierrempart de la citadelle des terroirs, cède du terrain, par petitesbrèches. Après la crise de phylloxéra, on a commencé à grefferles cépages sur des plants américains. Première pierre dans lejardin de la typicité variétale. On a planté profondément le clouen choisissant des porte-greffes à croissance rapide se contentantdes horizons de surface (l'universel SO4). Puis on a généralisé leclonage des plantations au détriment des sélections dites massales(repérage des individus remarquables dans une vigne dont on choisitde replanter les bois), deuxième coup de pouce. Ceci a eu deuxconséquences : appauvrissement et standardisation du matérielvégétal. L'achèvement des travaux vint de l'appellation elle-même.Où on découvre que les gardiens du temps sont des apprentissorciers. Les cépages améliorateurs (Syrah en premier lieu) ont misles autres au ban de la société viticole : Carignan, Cinsault,Terret, Piquepoul noir, etc. Dans le combat des anciens et desmodernes, les premiers ont perdu la bataille. Continuons de filer lamétaphore biblique : les premiers seront les derniers.

Enattendant, célébrons ce terroir magique que la nature nous a donnéet que l'homme a su magnifier. Beau discours, belle communication.C'est autrement simple... et compliqué. Laissons parler la vigne, onentendra le terroir. Santé !


Charlie : le vin sans la lie



Château Renaissance parTignous



Dans la période de find'année, la France entière (enfin soyons honnêtes, celle qui peutencore se le permettre : les temps sont durs) bruisse ducrissement des papiers cadeaux qu'on arrache avec ardeur et résonnedes rots bien gras qui concluent les agapes. Mais même si c'est unsigne de contentement pour les hôtes, personne n'a plus le coeur àse réjouir après le carnage de Charlie Hebdo et de la porte deVincennes. Victoire à la Pyrrhus : Rabelais devient tropgourmand, trop bruyant. Serait-il trop gras en somme ? Cela nousa pétrifiés, et les mots restent collés au fond de la gorge commequand la quiche est trop cuite et le vin âpre. L'amertume de laciguë embrume les esprits, voile les discours. On a tous un chatdans la gorge et un chagrin qui, pour ce qui est d'aujourd'hui, nepasse pas.

Alors quoi ? Nousallons rester les bras ballants devant la table mise ? Diantrenon ! N'allons pas gâcher ce que nous avons mis tant d'annéesà bâtir : la convivialité, le défi de la drôlerie, leraffinement de la fine gueule. L'art de mettre les petits plats dansles grands, et réciproquement. Restons à table et voyons ce quenous avons au menu.

Comme les bons vins, labande à Charlie assemblait les jouvenceaux quarantenaires (Charb etTignous) et les vieux millésimes (l'octogénaire Wolinski et leseptuagénaire Cabu). Les vignerons du calembour ne connaissaient pasla retraite et continuaient de vendanger la connerie ambiante.Fautdire qu'il y en avait des grappes. Faut dire aussi que l'assemblageavait de la gueule. Le magnum faisait plutôt envie. On avait hâted'y goûter à pleines lampées. Pas de dégustation : boired'un trait. Cul sec. L'amour sans préliminaires. L'instantané, lesauvage, l'irrépressible. Jusqu'au delirium tremens. La banden'était pas bégueule, s'envoyait ce qu'il y avait à portée demain, avec une préférence pour ce que la bourgeoisie bien pensanteappelle les petits vins.

Ce qu'ils avaientcompris, c'est qu'il y avait de la sincérité à penser avec sestripes. Cette position est plus profonde qu'on ne l'imagine, surtoutdans une société policée et politiquement très correcte. Charlieavait gardé ce côté animal, chien fou. Un loup dans la bergeriequi ne mangeait pas dans la gamelle qu'on lui tendait, mais qui loinde dévorer les brebis gardait l'âme du troupeau. Un instinct desurvie. Des joyeux drilles qui s'encombraient les pattes d'un cocker.Tout un symbole ce cocker qui prenait sa place aux ripailles.

Le jus parle, il parlejuste, et il parle bien. Leur ancien copain Siné ne s'y était pastrompé, lui qui s'était abreuvé au même goulot. Il est au four etau moulin pour l'organisation du salon des vins bios de Montreuil.Bibine, peut-être, mais pas trafiquée. Je pense que le Beaujolaisvillage (et surtout pas le Beaujolais nouveau, vade retro satanas),voire le Saint Amour coulaient à flot. Et puis Saint Amour, c'estjoli. Bref ces vins qu'on appelle petits... par le prix plus que parl'envie qu'ils déclenchent. On oublie qu'il y des grands maîtresparce qu'il y en a de petits. Privilège de la comparaison.L'important c'est d'être bien entouré. La compétition desmeilleurs, c'est de la poudre aux yeux des parvenus. Ils ne devaientpas trop s'embarrasser des fûts de chêne et autres calembredaines,les amis de Charlie.

Comme le rappelaitaimablement Cabu, ils avaient des débats de fond : « Oùest-ce qu'on va manger ce midi ? » Et ils allaient croquerau restaurant « Les canailles ». Pas de ces salles où lemaître d'hôtel vous assaille de courbettes obséquieuses. Pas nonplus de ces plats ampoulés et prétentieux. Non, simplement lacanaille : charcuterie, pâtés. Salade à la rigueur, s'il y ades bouts de jambon ! Tous ces pousse-au-crime qui font quel'entrée dure jusqu'au dessert. Et bien sûr quelques régalades degorgeons par-dessus. Car manger donne soif, et vice versa. Je croisentendre les verres en Pyrex qui frôlent la nappe, le cliquetis desbouteilles qui passent de main en main autour de la table. Sil'alcool rend le plus souvent idiot, le vin est le meilleur des gazliquides hilarants sur le marché, et pas le plus cher. A ce tarif,l'abstinence est mortel péché.

Alorsne soyons pas trop tristes et ne laissons pas les plats refroidirtrop longtemps. Ce serait pousser le bouchon un peu loin.